Entre Janvier 2007 et Juin 2007, j'ai filmé un documentaire en caméras cachées dans les agences immobilières. L'objectif était de vérifier la thèse de l'attérissage en douceur. Le documentaire a un certain intérêt historique, car il a été filmé un mois avant le début officiel de la crise du suprime aux Etats-Unis. Il n'existe aucun document équivalent sur Internet. Il s'agit du seul film jamais réalisé en caméra cachée dans des agences, durant un retournement de marché.
Les rushs du film suggèrent que le marché immobilier français serait dans un état de déliquescense avancé :
Dans une agence de Marseille, on m'avoue que les prix baissent de 15% instantanément. A Toulouse, un agent immobilier se connecte à son site internet pour m'indiquer une chute vertigineuse des visites. Dans cette ville, un autre agent m'indique que son carnet de rendez-vous est vide depuis plusieurs mois. A Carpentras, un agent immobilier parle de chute d'activité de l'ordre de 50%. Autant d'informations qui échappent à la presse classique.
Armé de 20 heures de rush, je décide de rendre visite aux plus grandes rédactions de la presse française, pour leur montrer mes films non-floutés. Je suis équipe d'un lecteur portable Archos et d'un casque multimedia. Les images non-floutées sont de qualité professionnelle, la caméra utilsée étant un bijou de technologie.
Les journalistes contactés vont tous me recevoir.
A part un journaliste du Parisien, aucun journaliste ne publiera la moindre information sur mes rushs.
Pourquoi ?
Les explications des journalistes sont sidérantes.
Je cite de mémoire quelques échanges.
- Un patron de rédaction me reçoit : "Monsieur, j'ai vu vos vidéos sur le Net, et je dois dire que je suis surpris. C'est pour cela que j'ai accepté votre demande de rendez-vous. Montrez-moi les vidéos ". Après avoir vu les vidéos : "Ce sont de véritables enregistrements, cela ne fait aucun doute. Nous nous sommes fait baiser. Les professionels nous livrent de fausses information depuis longtemps. Je peux vous assurer que je ne suis pas responsable de cette erreur". Moi : "publiez quelques lignes au sujet de mon reportage, c'est suffisant". Mon interlocuteur : "Malheureusement, c'est impossible. Nos articles concernant l'immobilier sont des commandes, échangées contre de la publicité. Nous pensions diffuser de l'information réelle, nous nous sommes fait gruger.". Et le responsable ajoute : "Je peux vous assurer que nous vérifierons mieux nos sources la prochaine fois".
- Dans un grand journal, on invoque d'autres raisons : "Je ne peux pas publier vos informations. En effet, nous attendons le moment opportun pour sortir l'affaire. Ce sera peut-être en septembre 2007. En fait, nous aimerions sortir l'affaire quand cela commencera à sentir le roussi pour Sarkozy". Moi : "Pourquoi lier l'immobilier à une affaire politique. Moi je n'accorde pas d'importance à la politique. Sortez l'information maintenant, parce que la société française doit connaître la vérité". Lui : "Non, on attend que cela aille mal pour Sarkozy. En fait, c'était probablement un leurre, car le site internet du journal en question abrite un superbe site de petites annonces, probablement très rémunérateur.
- Un grand magazine d'information : "Qui a parlé de votre reportage ?". Je réponds : "Personne, c'est un scoop, si vous diffusez l'information, vous serez les premiers". Le journaliste : "Si personne n'a diffusé l'information, je ne peux pas prendre le risque de le faire". Allez voir Le M**** ou Le P*****, généralement, ce sont ces deux journaux qui lancent les affaires.
- On ne me recevra jamais à Le M****, seulement des discussions téléphoniques. Ils veulent des chiffres et des statistiques. Or les chiffres sont produits par les professionels, donc aucune manière de rentrer en contact.
- Je me rends au Canard Enchaîné et je demande à parler au Rédacteur en Chef. On m'explique que le Canard traite uniquement d'affaires politiques et n'a pas de compétence particulière en économie. L'explication paraît plausible. J'écris plusieurs email au rédacteur en Chef pour lui proposer de lui montrer mes enregistrements non-floutés. En Juin 2007, personne n'a compris l'importance de la crise à venir, on me prend pour un doux-dingue.
- Un grand journal gratuit me contacte. Ils sont intéressés. A un moment, un journaliste me dit : "Il y a bien un krach en province, mais avez-vous fait des enregistrements sur Paris." Moi : "Non, je n'ai pas eu le temps de terminer mon reportage à Paris". Le journaliste : "C'est dommage, notre audience est principalement sur Paris. Votre histoire ne va pas intéresser les lecteurs."
Pour chaque démarche, je fais un rapide rapport sur Internet, afin de prendre date publiquement. Quelques exemples au hasard :
19 Juin 2007 : RV au Parisien, le seul journal qui acceptera d'écrire quelques lignes sur mon reportage.
22 Novembre 2007 : RV presse avec deux journalistes parisiens
Il y aura une dizaine de rendez-vous au total. Toutes ces informations sont publiques, la défaillance de la presse est générale, à l'exception du Parisien. Personne ne prend au sérieux les 20 heures film. Nous sommes un mois avant l'effondrement des marchés financiers.
Pourquoi cette défaillance ?
A mon avis pour plusieurs raisons :
Chiens écrasés : jusqu'à une période récente, la presse considérait l'immobilier comme un domaine de chiens écrasés.Les journalistes s'intéressent à l'information noble : les relations internationales, la politique, les réformes économiques. L'immobilier est une affaire de pigistes. Rien n'a été entrepris pour vérifier les sources des informations. Les professionnels connaissent cette situation et tirent profit.
Mutation économiques : les journalistes qui me recoivent sont surchargés de travail. Sur leur bureau, dans les salles de rédaction, des piles de communiqués de presse. En province, les journalistes écrivent 1 à 2 articles par jour. Dans les grandes rédactions, les journalistes peuvent écrire deux à trois articles par semaine. Bref, il faut être polyvalent et passer d'un sujet à l'autre. Dans ces conditions, les journalistes commentent les données dont ils disposent, sans vérifier les information sur le terrain. Fait étonnant : aucun journaliste rencontré ne se rend régulièrement dans les agences immobilières. Tous les échanges ont lieu par téléphone. Ou alors on regarde des reality-show sur M6. Cette défaillance, c'est un peu comme si un grand chef de cuisine livrait un surgelé ALDI à ses meilleurs clients.
Stratégie de survie : les grands journaux sont tous déficitaires. Les journalistes ou leur direction passent des accords avec de grands groupe, échangeant des pages de publicité contre des articles. Mais à aucun moment, les journalistes n'ont l'impression de diffuser de fausses information. Ils n'ont pas vraiment le choix : ou c'est la mort du journal, ou l'on passe quelques accords dans des domaines anodins, comme l'immobilier, n'ayant a priori de faibles répercussions sur l'économie en général. Lourde erreur d'appréciation ... L'immobilier est un domaine économique fondamental. Il faut mettre fin aux éditions spéciales, diffusées à la rentré ou durant les mois d'été, qui sont gorgées de publicités à en faire baver l'encre.
Problèmes méthodologiques : les journalistes privélégient l'approche argument/preuve. Aucune information n'est avancée sans chiffre (la preuve). Le problème, c'est que par paresse, aucun journaliste ne va vérifier sur le terrain les chiffres qui lui sont transmis. Le journalisme d'investigation est mort et enterrré. Il suffit alors à un quelconque lobby de fournir des chiffres et le tour est joué. Le journaliste n'est plus autonome, il a besoin du lobby pour lui fournir des chiffres.
Je ne critique pas les journalistes, car je sais qu'ils n'ont pas le choix et que ces mutations les dépassent.
Au contraire, je pense que dans toute situation, il faut comprendre les aspects bénéfiques et les exploiter.
C'est la thèse que je vais développer.
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